La tête dans les nuages
Tu viens de partir. J’ai des questions plein la tête. La nuit, c’est le plus dur, parce que je ne peux parler qu’avec moi-même. Et mes angoisses se réveillent, mes doutent me tiennent éveillée. Je suis fatiguée à force d’y penser. J’aimerais avoir la même réflexion claire quand tu te tiens en face de moi, mais c’est loin d’être le cas. Même là, le passage à l’écrit est difficile parce que je m’adresse à toi. Et tout s’embrouille. Un peu comme nous. Brouillard doux et enveloppant, mais brouillard. Et toujours se méfier du brouillard sur la route.
J’ai quelquefois peur de ce que tu représentes pour moi. Y’a des choses que je voudrais annihiler, en vain. Tout serait beaucoup plus simple si on mettait le bouton des sentiments sur *pause*. Mais je suis mal fichue, j’ai été conçue sans. Quelques planches. Des clous. Construire une petite barrière là-dessus pour nier tout affectif. Et l’édifice prend feu. Ca s’échappe, ça se propage et je ne sais pas quoi en faire. Volutes blanches qui se mêlent au brouillard.
Tu sais déjà ce que je pense de toi, de quelle façon je te vois. Et égoïstement, je pense aussi à ce que tu me fais vivre. En bien. Parce qu’on a beau se retourner et voir le mal que l’on s’est fait en premier, ce qui ressort de tout ça pour moi c’est le bien que tu me fais. C’est ce que je ressens quand je suis avec toi. Grande. Fière. Importante en fait. Et ta seule présence, ta façon d’être là comme ça, c’est tout ce qui me plait. M’attire. Me rassure. Me met dans un petit cocon à l’abri du brouillard. Juste quelques secondes où tu poses les yeux sur moi.
Je regrette juste de ne pas toujours savoir comment te prendre par rapport à tes propres défenses, qui font que ce sentiment s’effiloche d’une certaine manière. Tu me donnes la main dans le brouillard pour que l’on s’égare ensemble, puis tu te reproches ton geste en te disant que séparés, il y aura plus de chances que l’un de nous retrouve la bonne route. Oui, mais est-ce que je suis prête à te laisser en chemin ? …
Je regrette juste que tu aies voulu ouvrir des portes et que tu sois parti une fois qu’elles s’entrouvraient et sans les refermer. C’est pas toujours facile à remettre en place des barrières quand on n’y voit pas clair.
Et dans ta caboche, j’ai du mal à me rendre compte de ce qui se passe. C’est tout embué quand on colle son nez au carreau. Et même en regardant attentivement, je ne sais pas qui je suis pour toi, ce que je représente, ce que je te renvoie de toi, ce que tu te dis quand on est ensemble, si tu y éprouves du plaisir ou si c’est trop dur, si tu en as besoin ou si tu peux t’en passer, s’il y a des choses que tu as envie de faire ou partager avec moi, s’il y a d’autres truc-trucs que tu te refuses. Savoir pour comprendre. Un peu de vent dans le brouillard pour voir si ça le dissipe ou ce qu’il peut bien s’y cacher. Pour me dire que tout le reste c’est pas du vent…
J’ai peur de me rendre compte que je ne t’ai rien apporté. Que tu ne saches pas me repousser quand tu as envie de le faire. Que tu ne saches pas me dire non. Que tu ne puisses pas me dire non ? Ou qu’a contrario tu ne me prennes pas dans tes bras si c’est de ça que tu as envie…
J’ai peur de te faire du mal. D’être une des causes pour lesquelles tu t’en fais tant tout seul.
J’ai peur de la coupure. J’ai peur que quand tu reviennes, tu te rendes compte que c’est mieux sans moi, plus simple, plus facile à vivre, à gérer, plus agréable. Que le mieux c’est de continuer comme ça, sans se voir, sans contact.
J’ai peur de te dire les choses, peur que tu les interprètes mal. Peur que tu y mettes de la distance, en te mettant dans la tête que c’est mieux pour moi comme ça. Peur de te faire peur. Peur de te perdre.
J’ai des attentes, oui. Ou plutôt des envies, mais rien d’exceptionnel à mon sens. J’ai envie d’être présente pour toi, mais pas dans des choses insurmontables. J’ai envie de t’offrir le super cadal de Noyel auquel je pense, j’ai envie d’une soirée avec toi pour entrer dans une nouvelle année qui sera sans doute semblable aux autres, j’ai envie d’être là pour ton quart de siècle... Envie d’un tour en moto sans tresses. Envie de re-voir enfin Le château dans le ciel, parce que je ne peux pas le voir avec quelqu’un d’autre. Envie de savoir sur quoi tu travailles. Envie que tu m’expliques comment marche cette merdouille de powerpoint-bordel. Envie de détails insignifiants et pourtant symboliques. Mais pas insurmontables. Des envies qui pourraient ressembler à des envies de juste amis. Mais je sais pas ce qu’il en est pour toi. Et ça me ronge ostensiblement. Parce que je ne veux pas être en situation de demande, mais… toi, est-ce que t’as envie que je sois là pour toi ? Est-ce que tu peux être là pour moi ?
J’ai peur de te faire perdre ton temps. Et là où toi tu dis que tu n’en as pas, moi j’entends tout le contraire… Si tu ne pensais pas à moi ou aux autres choses qui te perturbent, tu ne t’enfermerais pas autant dans le travail, tu ne te trouverais pas tant d’excuses, bonnes ou mauvaises, tu n’aurais pas les larmes aux yeux dès qu’on aborde ce genre de questions et ça ferait pas si mal… Ou alors c’est dans ma tête que ça se joue comme ça… Comme quand je me dis que ce temps-là, tu pourrais très bien l’ouvrir à quelqu’un d’autre, où tu serais plus libre, plus heureux et peu importe la durée…
Je sais qu’il y a deux routes. Celle avec les panneaux indicateurs qui te guident, goudronnée, sans surprise, vers une destination qui ne te plait pas réellement mais qui semble sûre, sans danger manifeste. Et celle toute bosselée, mais peut-être plus courte, où tu sais qu’il y a quelque chose à découvrir, mais quoi ? Et la traversée des deux routes est dure, parce que de toute façon, il faut bien y aller. Se lancer. Et le brouillard qui risque de tomber… Laquelle emprunter ?
On peut pas faire le mieux, on peut juste faire pour le mieux. De même, tu es quelqu’un de bien, mais tu peux pas toujours faire le bien… Et j’ai peur qu’en lisant tout ça, tu te dises que le mieux, c’est d’arrêter. Tout. Tout de suite. Parce que ça va trop loin. J’en veux pas de ça comme réponse, je suis pas vraiment prête à l’entendre pour le moment… Pourtant je voudrais pouvoir te respecter si c’est ce que tu penses. Et je suis désolée d’être un boulet. Au sens où je sais que tu as besoin de distance et j’arrive pas à t’en donner. J’aimerais vraiment pouvoir respecter ta décision et tes choix… Mais est-ce que c’est parce que je ne les entends pas ou parce que tu ne les dis pas explicitement que je suis dans le doute ?
Et si c’était à refaire, je sauterais à pieds joints dans le brouillard.
Et dans le brouillard, on entendra juste le tic-tac du temps…